S'il y a bien une question qui semble diviser la majorité -et le gouvernement-, c'est celle des centres d'injection supervisés pour toxicomanes (souvent surnommés « salles de shoot ») : retour sur un débat entre pragmatisme et politique électorale.

Alors que la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, appelait fin juillet à ouvrir le débat sur ces centres qui permettent aux toxicomanes de faire leurs injections dans un cadre stérile et sécurisé, encadrés par un personnel qualifié, Matignon affirmedans un communiqué publié mercredi que ces salles ne sont « ni utiles, ni souhaitables ». Une manière de clore le débat qui n'y a toutefois pas mis totalement fin, puisque le président du Sénat, Gérard Larcher, s'est dit favorable, jeudi, à une mission parlementaire sur le sujet.

Le débat enfle depuis un rapport de l'Inserm, publié fin juin, montrant l'intérêt de telles structures en se fondant sur les études menées dans les huit pays où des centres similaires sont en activité. Selon ce rapport :

« Les CIS ont fait leurs preuves sur la réduction de la morbidité et de la mortalité associées aux overdoses. […] Les études démontrent clairement une diminution des abcès et autres maladies liées à l'injection, une diminution des comportements à risque de transmission du VIH/VHC […] chez les usagers, avec une probable influence plus large sur la communauté des usagers. »

 

Deux mois plus tard, interrogé sur le refus de Matignon, Jean-Pierre Couteron, président de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie, s'interroge :

« Je me demande quels éléments scientifiques nouveaux sont apparus depuis l'enquête de l'Inserm ? Ça laisse vraiment dubitatif. »

 

« Réduire la consommation de drogue et non l'accompagner »

Les services du Premier ministre affirment que leur priorité « est de réduire la consommation de drogue, non de l'accompagner, voire de l'organiser ».

Philippe Goujon, l'un des quatorze députés UMP opposés à l'ouverture des salles de consommation, défend la position de Matignon :

« Pour ma part, ce projet va à l'inverse de la politique qu'il convient de mener. Je suis pour une politique de sevrage. C'est une politique qui a fait ses preuves en France depuis une vingtaine d'années, les résultats sont là. »

 

Il poursuit :

« Ce serait faire preuve d'une incohérence totale que d'autoriser ces centres. On risquerait de troubler le message et la dépénalisation suivrait forcément. »

 

Or, force est de constater que les spécialistes du domaine semblent, de leur côté, très éloignés de cette vision. Ainsi, le Dr Brahini de l'hôpital Marmottan de Paris (spécialisé dans le soin et l'accompagnement des pratiques addictives) défend le projet :

« C'est une mesure très positive qui rentre dans le cadre de la politique de réduction des risques infectieux et des overdoses. La prise en charge des toxicomanes est basée sur le lien et avec ce dispositif, on peut amener les gens à consulter. C'est ça l'intérêt. »

 

Jean-Pierre Couteron, le président de l'Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie, dénonce quant à lui les approches dogmatiques et rassure sur le risque d'une possible banalisation de la toxicomanie :

« Les salles de consommation n'entraînent pas une banalisation. Il s'agit d'un outil adapté pour un public particulier composé de personnes en errance et en grande rupture avec le reste de la société. Parler de sevrage à une personne en grande rupture, ça ne marche pas.

 

Si on insiste sur les salles de consommation, c'est parce que la France est en train de prendre un retard important. Il faut donc se garder de toute approche dogmatique, il ne s'agit pas de dépénalisation. »

 

Parmi les opposants les plus virulents au projet, l'ancien ministre des Sports, l'UMP Jean-François Lamour, affirme dans une tribune du Monde de ce jeudi :

« Toutes les expériences menées à travers le monde, notamment en Suisse et en Allemagne, démontrent que l'ouverture de ces salles de consommation, bien loin d'aider les toxicomanes, aggravent le problème à plusieurs titres. »

 

Laurent El Ghozi, maire-adjoint PS à Nanterre et président de l'association Elus, santé publique et terrritoires qui rassemble des élus de tous bords intéressés par les centres de consommation (et qui étudie la question depuis plusieurs mois déjà) s'insurge :

« D'où il sort ça ? C'est ahurissant ! Il n'y a aucun article qui dit ça. Je suis scandalisé ! Ce que dit Lamour est un mensonge, c'est simplement un mensonge. C'est consternant ! D'une malhonnêteté ahurissante. »

 

« En France, on est souvent frileux sur ce genre de mesure »

Si cette initiative semble autant diviser, c'est aussi en raison du risque d'impopularité de la mesure.

Etienne Apaire, président de la Mildt, mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, à l'origine de la décision prise par Matignon, affirmait lundi dans une interview au Monde que 73% des français sont opposés au projet.

Pour Jean-Pierre Couteron, les réticences de la population ne doivent pas arrêter les politiques :

« La Mildt adopte une approche idéologique qui n'est pas une position intéressante. Il est normal que 73% de la population soit contre les salles de shoot. Il est même étonnant qu'il y en ait autant qui soient pour. Mais l'expérience a montré que les mentalités évoluent après l'ouverture de ces centres, surtout lorsque la population observe la diminution des nuisances. »

 

Le docteur Brahini, de l'hopital Marmottan, commente la position du Premier ministre :

« En France, on est souvent frileux sur ce genre de mesure. Certains pensent surtout à l'intérêt électoraliste plutôt qu'à la santé publique. C'est ce qu'on a pu voir par le passé avec la loi sur l'avortement ou celle de 1987 sur la vente libre de seringues. »

 

Cela n'a pas empêché le recul de Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille. Initialement intéressé par la mesure pour le traitement de la toxicomanie à Marseille, il a finalement décidé de se ranger derrière la position de Matignon. Patrick Padovani, l'adjoint au maire de Marseille en charge de la toxicomanie, explique :

« On ne renonce pas à tester les salles de shoot. Mais il ne faut pas rentrer en guerre contre le gouvernement. Il faut harmoniser les discours pour permettre à ce que les politiques réfléchissent à des questions délaissées dans l'esprit des décideurs.

La porte est ouverte pour un débat pour faire avancer les choses dans le domaine de l'aide à ce public malade. »

 

La porte est ouverte, donc, même si Matignon a tout fait pour la refermer.

Photo : un kit d'injection dans un centre d'injection supervisé de Vancouver, Canada, en août 2006 (Andy Clark/Reuters)